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Rubrique 7

En ce moment, Dean est un détenu de la prison de San Quentin en Californie et attend la mort dans 'Le Couloir de la Mort'. Son désir, par ces colonnes, est de vous donner une idée de la signification d'être un condamné à mort.
Je suis de retour, du moins jusqu'à la fin de ce ruban. Je n'ai pas pu écrire pendant 2 mois car mes rubans de rechange pour ma machine avaient disparus. J'ai échangé un album de timbres contre un ruban à demi utilisé; j'espére que ça suffit pour taper ceci. Les rubans sont difficiles à avoir et je ne sais pas combien de temps je mettrai avant que je puisse en avoir de nouveaux . . . puisque en plus, je n'ai pas d'argent pour en acheter en ce moment. J'écrirai aussi souvent que je le pourrai ou quand je pourrai.

Je voudrais un peu parler de l'amitié. Quand j'étais dans le monde extérieur, le concept de l'amitié tendait à être une peur ambigue pour moi, sauf quelques exceptions. Il y avait une douzaine de gens que je considérais comme étant amis, mais mes amis intimes, je pouvais les compter sur une main.
Ce vieux proverbe qui dit qu'on apprend à connaître ses vrais amis quand il y a des problèmes, est plus que jamais vrai lorsque vous allez en prison; encore plus lorsque vous êtes dans le Couloir de la Mort.
Cela fut très révélateur pour moi après mon arrestation, les gens que je considérais comme des amis voulaient se distancer de moi le plus vite possible. Je n'attendais pas grand chose de la plupart d'entre eux, mais d'autres avec qui j'avais partagé des moments privilégiés et des instants exceptionnels, ne se sont jamais donné de la peine pour m'envoyer une carte postale et me souhaiter bonne chance, ou pour m'offrir des mots de soutien pour me faire savoir qu'ils espéraient me voir sortir de ce pétrin.

Cela m'a fait mal, surtout parce que j'avais supposé qu'ils sauraient que je n'étais pas le genre de personne à faire ce dont j'étais accusé. Le fait que j'avais été là pour quelques-uns d'entre eux lorsque'ils traversaient des moments difficiles, a rendu encore plus décevant qu'ils m'ont battu froid.
C'est à ce moment que j'ai tout à fait compris le phénomène américain de l'amitié de convenance pour la première fois. C'était une véritable expérience édifiante pour moi.

D'un autre côté, j'ai aussi appris que j'ai de la chance. Les amis que je considérais comme proches étaient tous là, sauf un seul. Ceux qui étaient là essayaient de m'aider le plus qu'ils pouvaient. Malheureusement, après une période de plus de 10 ans, deux d'entre eux m'ont aussi lâché; je me considère cependant comme très chanceux d'avoir toujours des amis. Cela n'a pas été facile pour eux et je sais que ma situation leur a également causé beaucoup de peine.

Au risque de paraître gnangnan, je ne sais pas ce que j'aurais fait sans ces amis. C'est même gênant quand je pense à tout ce que ces gens ont fait pour moi. Cela n'a pas été facile pour eux et je pense qu'il n'y a pas une carte 'Hallmark' qui pourrait exprimer toute la gratitude et l'amour que je ressens pour ces gens.

Tard dans la nuit, quand c'est un peu plus calme dans le Couloir, je m'étends ici dans le noir et je pense à mes amis. Je pense aux bons moments qu'on a eu, encore et encore. Je me demande ce qui se passe dans leur vie maintenant, s'ils sont heureux, et s'ils pensent à moi. Au sujet de ceux qui m'ont lâché quand j'avais besoin d'eux, je me demande ce qu'ils diraient si j'étais capable de leur demander pourquoi ils m'ont tourné le dos quand j'en avais le plus besoin.
Aux amis qui ont été là pour moi, je me demande comment je pourrais leur faire comprendre combien je suis désolé qu'ils aient été exposés à cette folie et à cette douleur, endurées pendant la procédure. Comment pourrais-je jamais les remercier pour leur amour et leur soutien? C'est l'une des bizarreries quand on s'étend dans le noir et qu'on s'interroge sur les choses, il faut bien se demander comment exprimer ce qu'on ressent ou pense.

Finalement, je me demande ce que je dirai à mes amis qui m'ont soutenus durant tout ce temps, quand le moment de mon exécution arrive. Des fois, lorsque je suis étendu ici dans le noir, j'essaye de composer une dernière lettre pour ces amis. Dans les lettres que j'écris pour chacun, j'essaye de trouver des mots pour leur dire ce qu'il y a dans mon coeur, des choses à dire qui les aideront à accepter ma mort, et combien je voudrais qu'ils ne souffrent pas à cause de cela. Ce n'est pas gai à imaginer, mais je pense qu'ils le méritent au moins après tout ce qu'ils ont vécu. Habituellement je suis un optimiste, mais je suis aussi réaliste et je dois penser à toutes les possibilités. Je dois penser à rédiger une lettre aux amis, au cas où l'état me tue.
Je me suis également fait quelques amis depuis que je suis ici. Des gens du monde extérieur, je veux dire. J'en ai rencontré quelques-uns en personne, mais la plupart d'entre eux sont des amis strictement par le courrier. Quand je les rencontre, ils comprennent ce que pourrait être mon sort et offrent beaucoup de soutien. Au cours des années, ceux qui ont écrit par curiosité se sont lassés, mais ceux qui ont persisté sont des gens d'un niveau plus élévé au point de vue force mentale et émotionnelle.
Je prends beaucoup de leur force et cela m'aide à supporter toutes ces saloperies quand ça va exceptionnellement mal à certains moments. Ironiquement, la plupart des gens les plus fidèles ne vivent pas aux Etats - Unis. Je suppose que les gens d'autres pays n'ont pas l'appétit sanguinaire des Américains. Quelquefois, je suis époustouflé par tout l'amour et tout la compassion de ces gens surtout pour une personne qu'ils n'ont jamais rencontré. Je leur explique les attitudes américaines envers les gens en prison, en général et du Couloir de la Mort, en particulier; et cela les révolte.
Notre justice est quelque chose d'incompréhensible pour eux et quelques-uns ont même suggéré que je brodais sur ce que je disais à propos de nos tribunaux, policiers et prisons. Ils ne semblent pas tout à fait comprendre que je n'ai aucun besoin de broder, la vérité est plus que suffisante.

Pour ce qui est de l'amitié avec d'autres dans le Couloir de la Mort, je ne considerais personne comme ami. J'ai tendance à beaucoup intérioriser, mais dans le passé, j'ai eu deux gars que je considérais comme mes amis. L'un d'entre eux a été poignardé à mort par un autre détenu; j'ai perdu le contact avec l'autre. Ici il y a des gars qui développent des amitiés, mais je n'ai aucun désir d'en faire autant.
J'ai des connaissances que j'aime beaucoup, et je préfère continuer comme ça. De plus, l'idée de développer une amitié avec quelqu'un qui un jour pourra être conduit à la chambre à gaz, ne me séduit guère. C'est plus facile de garder une certaine distance avec tout le monde.

Eh bien, j'ai assez bavardé . . . et je ne suis pas à court de ruban. J'espère que ce ne sera pas long avant que je puisse vous parler de nouveau.

A plus tard,
Dean